Le Barème de droit commun : l’obsolescence handicapante à l’indemnisation intégrale des victimes
Nous sommes nombreux à lever le bouclier face à la volonté d’imposer des barèmes et des algorithmes à l’image de DATAJUST, dans le cadre de l’indemnisation des victimes d’un préjudice corporel.
Certains peuvent y voir de nouvelles modalités pratiques, d’autres, plus aguerris, l’effacement de l’humain et des principes élémentaires à l’indemnisation des préjudices corporels tel que celui de la subjectivité. L’évaluation du préjudice doit rester propre à l’humain qui en est victime. Une même blessure ne fera pas souffrir de manière identique toute personne. Considérer l’humain c’est donc prendre en considération le caractère inévitablement subjectif du préjudice.
L’actualité en la matière a donc fait réagir. Toutefois, la réalité est que la barémisation est un sujet ancien qui handicape depuis longtemps l’indemnisation subjective, personnelle, des victimes.
En effet, le barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun est le plus utilisé pour évaluer le déficit fonctionnel permanent des victimes. Il fixe des pourcentages de déficit dont les experts, d’après mon humble expérience, ne souhaitent pas se détacher.
Or, ce barème, dit le barème de droit commun, est critiquable sur plusieurs points :
- Il est ancien lorsqu’on le compare à l’évolution de la science (la vieillesse est toujours née de la comparaison)
- Ses rédacteurs sont nombreux à être très/trop proches des assurances
- Il fixe des barèmes à l’évaluation des préjudices, notion bien éloignée de l’évaluation subjective du préjudice
1. La vieillesse du barème de droit commun
La dernière édition du barème de droit commun date de 2001.
Il fête donc ses 20 ans au jour de la rédaction de cet article. 20 ans est une période très longue en matière de santé. En effet, la science évolue à une vitesse faramineuse. Pourtant ce barème a vocation à barémiser le déficit fonctionnel permanent des victimes. C’est ainsi considérer que depuis 2001, le déficit fonctionnel permanent n’a pas évolué.
Cet argument pourrait être perçu comme contraire à l’indemnisation des victimes car la science évoluant, le déficit fonctionnel permanent serait susceptible de diminuer grâce à cette évolution. Si la victime amputée ne pouvait pas bénéficier de prothèses de qualité il y a 20 ans, il en est tout autre aujourd’hui. A contrario, certaines solutions de remplacement (telles que les implants dentaires) pouvaient être vus comme une réhabilitation miracle viagère. Or, l’expérience et les connaissances actuelles vont dans le sens d’un retour sur cette solution qui ne serait finalement pas pérenne.
Le barème est donc trop ancien et s’il a vocation à perdurer comme fondement de la fixation des déficits fonctionnels permanents, il est important qu’il soit régulièrement mis à jour. L’avant-propos de ce barème le précise pourtant en indiquant qu’il doit s’adapter « périodiquement à l’évolution des techniques médicales ».
Cette mise à jour doit toutefois être véritablement encadrée si le barème conserve la force qui lui a été donnée, sans que cela emporte ma conviction.
2. Les rédacteurs du rapport
La liste des participants à la rédaction de ce barème est indiquée en introduction du barème.
Les aguerris de la matière auront rapidement identifiés que de nombreux participants sont des médecins-conseil d’assurance.
Leur rôle est évidemment d’œuvrer pour les assurances, organismes payeurs de l’indemnisation. S’il nous est arrivé d’être en contact avec des médecins-conseil d’assurance impartiaux et objectifs, ce n’est pas la plus commune des situations. En effet, comme le médecin-conseil de la victime, le médecin-conseil de l’assureur, rémunéré par ce dernier, fait en sorte de minimiser les préjudices pour minimiser l’indemnisation. Cette vérité déplaît mais elle existe.
Une nouvelle rédaction devra donc être fondée sur l’éviction des médecins-conseils quels qu’ils soient. L’impartialité médicale est fondamentale.
3. La barémisation au stade de l’expertise
Ce barème ce n’est finalement que la barémisation dès l’expertise. Or, l’expertise est le moment le plus important d’un dossier en préjudice corporel. En effet, la fixation des préjudices fondera les demandes indemnitaires. Si le magistrat a la possibilité de ne pas suivre les conclusions expertales, c’est un principe qui n’a que des exceptions. En effet, le Juge n’est pas un médecin et il suivra, habituellement, les conclusions du médecin expert qu’il aura désigné.
Nous tentons régulièrement de faire modifier ce que l’on appelle « la jurisprudence expertale » c’est-à-dire la fixation des préjudices par l’expert sur le fondement du barème de droit commun. C’est malheureusement souvent voué à l’échec puisque ce barème est la base de travail des experts judiciaires et des médecins-conseils.
Alors que ce barème se veut indicatif il est devenu impératif.
Dès l’expertise, la subjectivité de l’évaluation du préjudice n’est donc pas respectée. Or, nous n’oublierons pas que dans le Déficit fonctionnel permanent, les souffrances permanentes sont incluses. C’est ainsi considérer que toute victime d’un dommage médical analysable équivalent (amputation par exemple) souffrira également de manière identique.
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Une petite lueur d’espoir dans la gestion de nos contentieux habituels en droit dentaire. Si le barème fixe un déficit fonctionnel permanent à 0% lorsque la dent extraite à tort est remplacée par un implant, certains experts acceptent la fixation d’un déficit fonctionnel permanent dans ces conditions. Un implant n’est bien évidemment pas une dent naturelle et ne vient donc pas remplacer parfaitement la dent naturelle dont la victime a été privée. La fixation d’un déficit fonctionnel permanent est donc importante et logique. Espérons que cette évolution va continuer et être admise à l’unanimité.
Nous continuerons à œuvrer pour faire modifier la « jurisprudence expertale » pour voir modifier la jurisprudence judiciaire.
Maître Elodie BOSSELER
Avocate
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